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Proposition : A la manière de Franz Kafka dans Grand Bruit nommer un lieu par son architecture sonore. 

J'entre brusquement. La porte coupe-feu se referme derrière moi battant trois fois, d'abord amplement en un vif claquement de caoutchouc, puis doucement en un léger clappement et enfin de manière quasi imperceptible, comme une plume que l'on frotte sur un cuir.
Cela fait longtemps que je ne suis pas venu ici. J'avais oublié le silence abyssal qui y règne. Si je ferme les yeux, seuls ma respiration et les bruissements de mon coeur rythment mes pensées. Je suis au fond de la salle, les fauteuils rouges me tournent tous le dos, les strapontins sont rangés au garde-à-vous attendant certainement que j'avance.


Mes premiers pas vers la scène ne sont pas bien bruyants, le sol est recouvert d'une moquette sombre. Par moment alors que je m'approche du proscenium, quelques doux crissements sous mes pieds me font dire qu'un parquet ancien se cache sous ce manteau duveteux. J'escalade les planches et me voilà sur scène. Je tourne maintenant le dos aux fauteuils. Chacun son tour.

J'ôte mon sac que je portais en bandoulière et le pose à ma place, il butte contre mon tabouret aux pieds métalliques qui de quelques centimètres râpent le sol. Un son à faire serrer les dents. 

Trois battements plastiques au loin derrière moi m'indiquent que je ne suis plus seul dans la salle. Je reconnais le pas lourd de mon contrebassiste. Je le salue et lui souris. Il est aussitôt suivi d'un grand fracas, la porte oscille cinq fois tant notre trompettiste fait preuve de discrétion. Il a un casque sur les oreilles, je perçois d'où je suis la mélodie étouffée d'une de mes compositions que l'on joue ce soir. Il retire son casque, le son autour de son cou semble un peu plus aigu et moins feutré. J'entends les trois dernières mesures de mon morceau. Il me salue d'un grand geste de la main que je lui retournes.

Nous sommes trois désormais, il ne manque plus qu'Antoine, notre pianiste. En l'attendant Thomas déballe sa contrebasse, Jean assemble sa trompette. C'est un concerto de cliquetis à l'ouverture de leurs étuis, suivi de vrombissements de cordes pincées et du souffle cuivré qui parcourt les conduits de l'instrument à vent. De mon côté je les observe derrière mes cymbales, caisses, tambours et charleston. Je sors mes baguettes de leur housse à fermeture éclair, puis mes balais et comme pour les délasser je les brosse sur la caisse-claire qui grésille.

C'est une cacophonie dont nous avons besoin pour évacuer les tensions qui précèdent la soirée. Un de ces tohu-bohus invisibles aux spectateurs mais qui permettent aux musiciens de prendre possession de l'acoustique des lieux. Ils nous conditionnent à la fois tout autant qu'ils nous libèrent.

Puis le temps s'accélère, le pianiste est arrivé et la balance est terminée. La salle se remplit dans un brouhaha où aucune conversation ne peut être correctement distinguée, enfin les lumières s'éteignent dans la salle, le public applaudit instinctivement, certains sifflent d'autres crient et une baguette sur l'autre je claque la mesure.

Cogitograf, 17 Oct 2018

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Tag(s) : #Atelier, #Exercices
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