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Un soir alors que je quittais une soirée chez des amis,  je me dirigeai vers  la ligne de métro la plus proche. Il était tard et un brouillard épais encombrait les rues. Un mois de février étrange était derrière nous. Etrange car il avait fait chaud pour la saison. Mais littéralement chaud j’entends. Jusqu’à 25 degrés. Ainsi, nous étions tous devenus hésitants quant à la manière de s’habiller le matin. Pour le coup j’étais bien découvert et ma chemise légère. En descendant les premières marches de la bouche de métro, j’avais cette stupide idée qu’il ferait plus chaud dans les couloirs de la station. Cette idée fut vite chassée par le courant d’air qui me fit hausser les épaules et frissonner de tout mon être. Une fois sur le quai, il n’y avait pas grand monde et le train était annoncé dans 2 minutes. J’avançai donc vers la tête pour anticiper ma sortie une fois arrivé à destination. En regardant autour de moi, je n’étais pas le seul idiot à m’être habillé comme en été.  Une chose me surprit cependant. Nous étions une douzaine sur le quai tous répartis à cinq, six mètres les uns les autres. Le quai devant mesurer approximativement 70 mètres. C’était comme si nous nous repoussions, comme des électrons défiant toute attraction. Nous étions complètement asociaux. La situation en était presque comique parce qu’avec nos épaules relevées et nos bras croisés, on aurait dit que nous nous faisions tous la tête.


-    Direction Pont de Sèvres, prochain train dans une minute, le suivant dans huit minutes, dit la voix féminine du métro.

 

« Yes », pensais-je bêtement, « on a eu la fille ». J’avais l’impression de deviner son visage à force de l’entendre. Je m’imaginais que c’était une jeune maman blonde avec une queue de cheval. Je ne sais pas pourquoi mais j’en avais presque la certitude.


Le train arriva enfin en gare. Personne ne descendit. Je tirai donc vers le haut l’espèce de bobinette et la « portelette » s’ouvra. Je plaisante mais c’est vrai que j’ai toujours trouvé l’ouverture des portes du métro carrément archaïque. Mais je n’ai pas pour autant choisi cette formule par hasard car à l’instant où les portes s’ouvrèrent je ne pouvais pas imaginer ce qui allait m’arriver. Je ne savais pas que ce sésame m’emmènerait loin dans les profondeurs de la rame, loin de mon quotidien et surtout loin de mes a priori.


Il y avait dans ce wagon précisément six personnes. J’étais le 7ème. J’entrai à l’arrière de la rame et m’installai à une place libre dans le premier « carré » vide. Toujours aussi asocial. Comme les autres. Cependant quelque chose arriva.
Une demoiselle se tenait assise devant moi. Elle était de dos sur un strapontin. Je la regardais fixement. Je n’arrivais pas à détacher les yeux de sa chevelure qui était surmontée d’un magnifique bonnet blanc cassé. Et alors même que j’étais entré par le côté opposé au sien, je devinais son visage. Vous pourriez me dire que je pouvais totalement me l’imaginer. Mais non je vous assure que c’était un sentiment profond de savoir. Je connaissais son visage. Aucune surface n’avait pu le refléter car elle lisait un journal, le nez entre les lignes. J’eus le reflexe que tout le monde aurait eu, lui demander où est-ce que j’avais pu la rencontrer. Et alors que je m’apprêtai à l’apostropher mon téléphone vibra. C’était un mail. Rien d’important, mais je me mis quand même à le lire m’évitant ainsi l’interaction. Le train ralentit et une voix dit, « République ». Nous nous immobilisâmes une fois en gare. Je venais de terminer de lire le message quand je vis la fille se lever et sortir sans que je puisse l’interpeler. Mais je pus voir par ailleurs, que le visage que j’avais deviné était bien celui qui figurait sur la jeune fille. Elle avait un petit nez en trompette et de somptueux yeux verts pétillants. La sonnerie suraiguë annonçant la fermeture des portes retentit suivi d’un double son de cloche provenant  de la cabine du conducteur une fois les portes closes. Je rangeai alors mon téléphone.


L’instant suivant, un jeune homme de couleur noire attira mon attention. Lui aussi m’était familié. Il avait le regard triste. Il me semblait vraiment l’avoir déjà rencontré. Et sans prévenir je fus brusquement omniscient, comme si je l’avais toujours connu.


Il s’appelait Mickaël Ouano. Sa famille était d’origine sénégalaise mais il avait toujours vécu en France depuis son enfance. Son père était ouvrier dans une chaine de fabrication de vélo depuis 30 ans. Il avait commencé peu de temps avant la naissance de Mickaël son premier fils. Enfant, ce dernier était très calme et même carrément introverti. Son père avait essayé sans relâche de le décoincer mais en vain. Mickaël préférait s’inventer des histoires dans son coin. Très jeune il trouvait déjà que le monde dans lequel il vivait n’était pas intéressant voir désolant. Son imagination n’avait pas de limites, et lorsque sa mère avait le malheur de l’emmener à la bibliothèque municipale elle ne pouvait lui détacher la tête des livres et des bandes-dessinés. Il était extrêmement intelligent et malgré son caractère un peu renfermé il avait une culture et une connaissance du monde qui l’entourait peu commune pour un garçon de son âge. Ainsi il réussissait très bien à l’école. Si bien que certains parents de ses camarades avaient confié à sa mère être un peu jaloux des facilités de Mickaël. Madame Ouano répondait toujours à cela qu’elle ne comprenait pas cette faculté que le rêve avait d’instruire. « Il est toujours dans son lit à rêvasser », disait-elle, « Je me demande quel roman lui fait apprendre les mathématiques ! ». Sa mère avait toujours un mot d’esprit. C’était une femme brillante. Elle avait eu beaucoup de mal à se faire une place. D’une part parce que la France est encore plein d’a priori semi-colonialiste, semi-raciste et d’autre part parce que la France est encore sacrément sexiste. Malgré cela, Madame Ouano, Mahawa de son prénom avait fait carrière dans la biologie et était à ce jour directeur "recherche et développement" dans une grande entreprise qui fabrique des automates de laboratoire. Elle avait beaucoup étudié pour en arriver là et son père qui était très autoritaire était en partie responsable. Et aujourd’hui le grand père de Mickaël était très fier de sa fille et de son petit-fils.


Mickaël était dans le métro parce qu’il revenait d’une réunion tardive avec son associée. En effet son imagination débordante l’avait poussé a étudié la littérature dans les moindres détails et son rêve d’enfant s’était réalisé depuis peu lorsqu’il avait pu monter sa propre maison d’édition.


Je ne savais pas pourquoi mais tout ceci m’était instillé à l’esprit plus je regardais Mickaël. C’était comme si je venais de prendre possession d’un super pouvoir, un peu comme dans les comics. Moi qui m’étais toujours désintéressé des gens dans les transports en commun comme si nous étions de simple bête transportées d’un point A à un point B pour effectuer une tâche qui nous permettrait le soir de retourner au pré pour brouter un peu d’herbe fraiche. Je réalisais alors "les gens dans le métro ont une vie en dehors".

 

Tag(s) : #Nouvelles-Roman
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