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Ci-dessous ma dernière nouvelle, disponible gratuitement en eBook (lulu)ici et publiée également sur le Magmatelier.

 

Il se réveilla en sursaut. Il venait de faire le plus terrible des rêves de sa vie. Un cauchemar aussi long qu’éprouvant. Charlène et lui, c’était fini. Au moment où il s’était réveillé, elle venait de le quitter dans un restaurant du 16ème où ils avaient l’habitude de se retrouver. Tout était de sa faute. Il était arrivé en retard à leur rendez-vous et elle l’avait prévenu que c’était sa dernière chance.

En reprenant ses esprits, il réalisa qu’il ne connaissait pas de Charlène et qu’il était au beau milieu de son salon. Il s’assit sur le rebord du canapé et pensa : « ce n’était pas si terrible, au moins dans ce rêve j’ai rencontré une fille merveilleuse ».

Alors qu’il sortait à peine de son état léthargique, son coloc’ et meilleur ami entra dans la pièce.


-    Hep, Juju ce serait cool qu’on aille se faire un resto ce soir.

 

Il crut halluciner et demanda :

 

-     Attends, répète ce que tu viens de dire là !

 

Bien qu’étonné par la question de Julien, Maxime répéta machinalement :

 

-     Ce serait cool de se faire un resto ce soir !

 

Julien tremblotant sourit et s’expliqua :

 

-     Mec je crois que j’ai fait un rêve prémonitoire des plus fous. Un rêve qui s’étale sur dix ans de ma vie future et qui commence aujourd’hui.

 

Maxime éclata de rire :

 

-     T’as trop vu Inception mon gars ! Va te voir dans un miroir, t’es loin d’avoir la tête de DiCaprio. A vrai dire t’as plutôt la tête de DiCarpaccio.

 

Julien rétorqua vexé :

 

-    Très drôle…. T’as le don pour me casser dans mes trucs. Bref, je suis ok pour le resto.

-    Cool, conclu Max, bon faut qu’je file. On se dit dix-neuf heures trente au Chartier ?

-    Ok, bon courage et à ce soir.

Julien savait pourtant qu’il n’y serait pas. Il était persuadé que son rêve était prémonitoire et que ce soir il serait dans les bras de Charlène. Tout autour de lui, les détails ne manquaient pas de lui rappeler le songe qu’il venait de quitter. La lumière le jour de leur rencontre était exactement celle qu’il y avait dans l’appartement à cet instant. Il se rappela qu’ensuite, il était sorti de chez lui vers dix heures moins le quart et qu’il avait sorti les poubelles.

Il prit un bon petit-déjeuner puis rassembla les corbeilles. Il les vida dans un grand sac plastique et sortis fièrement. Jamais il n’avait été aussi heureux de sortir les poubelles.

 

Il ne se souvenait plus trop s’il était allé dans ce café non loin de Montmartre tout à fait par hasard ou pour une raison précise. Une chose était sure il la trouverait là-bas. Il sortit et fila rejoindre l’arrêt de bus le plus proche. Sur le chemin un soleil puissant lui réchauffait le visage. Il jubilait. Il se sentait rajeuni de plusieurs années.

 

Une fois dans le 56 qui devait l’emmener de la Place de la République au Boulevard Rochechouart il pensa à ce que Maxime lui avait dit une heure plus tôt. Et s’il était en train de délirer. Après tout, l’hypothèse la plus probable lui semblait être celle de son ami." Les rêves prémonitoires c’est des conneries." Il doutait désormais mais le brin d’espoir qui subsistait en lui, le poussa à aller voir dans ce mystérieux café. Il voulait en avoir le cœur net.

Il était onze heures moins vingt quand il s’assit en terrasse à la même table qu’il avait vue dans son rêve.  « Déjà, ce foutu café et cette putain de table sont bien là » se rassura-t-il. Mais Julien était forcé de constater qu’Elle n’était pas là. Il commanda quand même un chocolat chaud et resta un instant pensif, les yeux perdus dans les contours du Sacré-Cœur. Quand il entendit à côté de lui un « oups » d’une voix féminine. Il se retourna brusquement et sans vraiment savoir ni pourquoi ni comment il avança rapidement son pied vers la table et amortit ainsi la chute du téléphone portable de l’étourdie demoiselle. Tout en ramassant l’objet il leva les yeux pour croiser du regard celui de la jeune fille et c’est alors qu’un frisson lui parcouru tout le corps. C’était elle.

 

-          - Merci, dit-elle.

 

Il ne répondit pas. Il était subjugué. En plus de la surprise, sa beauté lui coupait le souffle.

 

-          - Merci, répéta-t-elle.

 

Il reprit doucement ses esprits et balbutia quelques mots dont elle perçu vaguement le sens. Elle trouva immédiatement sa timidité charmante et se présenta.

 

-          - Charlène. Enchantée.

 

Il se secoua, lui offrit un grand sourire et dit :

 

-          - Julien. Enchanté également. Votre téléphone a tenté de s’échapper ?

-          - Oui, ce doit être ça. Non, sérieusement je suis terriblement maladroite c’est une catastrophe.

-          - C’est beau la maladresse c’est signe de sensibilité.

-          - Vous êtes gentil, dit-elle en rougissant.

 

Ils engagèrent alors une longue discussion sur ce qu’ils faisaient dans la vie, les derniers films qu’ils avaient vus au cinéma. Julien mentit même sur certains de ses livres favoris pour voir le degré de précision de ses prémonitions. C’était magique. Comme dans son rêve, elle travaillait dans un musée et connaissait Paris et ses galeries d’art comme sa poche. Elle devait partir la semaine d’après pour un énorme congrès d’histoire de l’art à Manhattan. Il hésita à tout lui raconter au sujet de son rêve mais il se rappela qu’il se terminait mal dix ans plus tard et il ne voulait pas lui faire peur et gâcher leur histoire.

 

Il se jura d’éviter ce restaurant du 16ème où leur relation prenait fin dans son cauchemar mais il comprit très vite que ça ne serait pas possible. En effet, c’était la brasserie préférée de Charlène et dès le premier soir de leur rencontre elle l’y convia. Les jours passèrent, les mois passèrent. Ils étaient heureux. Ils voyageaient énormément et partageaient des moments magnifiques et délicieux.

 

Julien avait mis Maxime dans la confidence à propos de ses prémonitions et ce dernier n’avait jamais rien dit. Ils n’en avaient d’ailleurs jamais reparlé et c’était plus ou moins oublié.

Mais neuf ans plus tard, une grosse dispute éclata entre Julien et Charlène. Elle lui reprochait d’être toujours en retard pour diner et le soupçonnait de la tromper ou en tout cas de lui cacher quelque chose. Julien était fou de rage car il n’arrivait pas à la convaincre qu’il n’en était rien et qu’il était simplement en retard parce qu’il avait beaucoup de boulot. Pendant des mois, il tentait de se dépêcher pour rentrer à l’heure mais son boss le retenait et attendant une promotion il ne voulait pas faire mauvaise impression.

Une nuit il se réveilla et la surprit en train de fouiller dans ses textos sur son téléphone. Il la regarda dans les yeux avec mépris et lui dit en colère :

 

-          - Tu es pitoyable.

 

Il sortit ensuite de la chambre et alla dormir dans le canapé du salon. Il pouvait l’entendre pleurer dans la chambre. Il ne savait plus quoi faire. Malgré le pincement qui comprimait sa poitrine il s’endormit.

Le lendemain, il se réveilla en sursaut. La lumière inondait le salon. N’étant pas dans leur chambre, il n’avait pas entendu le réveil. Il jeta un coup d’œil au-dessus du bar et vit que l’horloge du four indiquait neuf heures trente-cinq. Il était pour ainsi dire dans une merde pas possible. Il pouvait toujours rêver pour espérer avoir le poste qu’il briguait. Il en voulait à Charlène de ne pas l’avoir réveillé mais confus il alla quand même dans la chambre pour s’excuser. Elle n’était plus là. Pire encore, sa commode était vide et il manquait une valise dans le placard. Il eut alors un flash. Il se souvint soudainement de son rêve prémonitoire. Tout s’était passé exactement comme cela. Il ne manquait plus que le mot sur la porte du frigo. Il courut dans la cuisine et lu le mot qu’il avait vu en songe dix ans auparavant :

 

Bonjour Julien,

Si tu ne peux pas comprendre que je puisse être inquiète quand tu rentres aussi tard pour diner.

Si tu ne peux pas comprendre que tes éternelles excuses me tapent sur le système.

Si tu me méprises comme tu l’as fait hier soir alors peut-être que notre histoire doit s’arrêter là.

Peut-être qu’on doit tous les deux passer à autre chose.

Je suis prête à revenir mais je te demande une petite preuve d’amour. J’en ai besoin.

Retrouves-moi au restaurant de notre premier jour à dix-neuf heures.

Charlène.


Tout lui revenait maintenant. Dans son cauchemar il n’était pas arrivé à l’heure à ce rendez-vous et elle n’était jamais revenue habiter chez eux. Il s’habilla en vitesse et couru rejoindre le métro. Il était attendu au travail par son boss qui lui remonta les bretelles au sujet de son retard. Ce fut la journée la plus longue de sa vie. Il savait que s’il n’était pas parti du bureau à dix-huit heures trente pétante ce serait terminé. « C’est idiot » se répétait-il mais c’est dans ces moments-là qu’il se rendait compte à quel point il l’aimait.


Son patron le retint jusqu’à presque sept heures moins le quart. Il était fou. Une fois dehors il attacha solidement son sac en bandoulière et commença à courir à toute allure en direction de l’avenue la plus proche. Il y avait une bijouterie dans l’angle. Un de ses collègues qui s’était récemment marié en disait que du bien. Il entra et parcouru la boutique en trombe. Il s’arrêta nette devant une bague en or surmontée d’un magnifique saphir. L’anneau décrivait des courbes originales qui lui rappelaient le coup de pinceau de Van Gogh. La vendeuse ne comprit pas le rapport mais conclut la vente voyant Julien satisfait.  Il ne regarda pas le prix, paya et partit comme un fugitif.  C’était la vente de bijou la plus rapide de l’histoire. Une fois dehors il reprit sa course folle. Il était sept heures moins cinq.


Il n’en pouvait plus. Il courait tout le temps après quelque chose. Mais là c’était différent. Il courait après un fragment de sa vie, peut-être même après le reste de sa vie. Il avait ce pressentiment, cette sensation que peu d’entre nous auront ou n’ont eu la chance de connaître, le sentiment de pouvoir atteindre son but le plus cher. Il agitait son bras de toutes ses forces en espérant que le chauffeur puisse le voir. Quand il vit les freins rougir, son cœur commençait déjà à ralentir et il sourit. Il était essoufflé mais soulagé. Il savait que s’il n’avait pas ce taxi, sa chance s’en allait. La voiture était désormais immobile. Il levait maintenant les yeux au ciel. Il ne savait pas qui remercier. Dieu ? Le destin ? Lui-même ? Il pencha pour lui-même. Il approcha et ouvrit la portière.


-          - Merci, monsieur, je ne saurais pas comment vous remercier !

-          - Je vous en prie. Où allez-vous ?

-          - Place de mexico. Précisément, à l’angle de la rue des sablons et de l'avenue d’Eylau, s’il-vous plait.

-          - Place de mexico. C’est parti.


Il n’y croyait pas. C’était fini, il l’avait vu dans ce rêve. Dans quelques minutes, ils se seront retrouvés et ce pour l’éternité. Il jubilait. Etant à trois minutes, il était certain qu’il serait tout juste à l’heure et que Charlène ne pourrait pas lui en vouloir. Il se répétait les milliers de mots doux qu’il voulait lui dire. Les souvenirs qu’il voulait lui remémorer. Il agitait sa main dans sa poche à la recherche du bijou. Il savait qu’elle lui en voulait mais il était certain qu’elle ne résisterait pas à un tout plein de romantisme. Il sortit la bague de sa poche. Elle scintillait. Soudain, une lumière plus éblouissante encore que celle que reflétait le saphir le surprit. Il tourna la tête pour voir d’où elle venait. Son sang ne fit qu’un tour. Un camion fonçait sur eux. Il était déjà trop près. Tout semblait pourtant se ralentir comme si l’accident ne devait jamais arriver. Il avait la sensation d’avoir le temps de crier et le temps de transpirer. Et pourtant, la voiture fut frappée de plein fouet en une fraction de seconde.


L’instant suivant, il était toujours conscient. Sa jambe lui faisait mal. Elle picotait. Mais son dos, son dos n’avait rien. Il se sentait même dans une position confortable. Il se levait doucement. Tout était noir autour de lui sauf un fin rayon de lumière qui semblait surgir de nulle part. Il n’entendait ni un cri, ni une sirène de pompier. Il passa sa main sur son visage, il était dégoulinant. Il lui sembla que son nez saignait mais ne voyant rien il ne pouvait l’affirmer. Il entendit un bruit de serrure suivi de quelques pas et soudain la lumière jaillit de toute part. Il était ébloui. Sa vue s’accommodait doucement quand il entendit :


-          - Hep Juju t’as dormi plus de 13 heures. Il est temps de se lever. La vie continue mon gars.


Tout s’effondrait autour de lui. Il comprit. Il avait refait le film de sa vie avec elle. Jusqu’à la veille au soir où il était arrivé en retard les mains dans les poches et rien dans les poches… Il s’effondra de nouveau sur le canapé et laissa sa tête frapper contre l’accoudoir. Il se sentait coupable. Il avait tout gâché. Il passa de nouveau les mains sur son visage et comprit que ce qu’il avait pris pour du sang était en fait des larmes. Des larmes de regret. Sur la table basse son téléphone vibra. Il se leva de nouveau, se frotta les yeux et prit son portable qui indiquait deux nouveaux messages.


Le premier était un message de son frère :


Salut Frérot, j’ai vu que t’avais essayé de m’appeler hier soir.

Rappelle-moi dans l’après-midi, je serais dispo. Bisou.


Le second de… de Charlène. Son cœur s’accéléra. Il transpirait. Il cliqua sur Lire.


Julien, j’ai rêvé de nous. Tu te rappelles la première lettre que tu m’as écrite quand je suis partie aux USA juste après notre rencontre ? Tu l’avais terminée par ces mots :

« J’ai rêvé toute ma vie d’avoir rendez-vous avec le bonheur et je t’ai rencontrée. »


Il éclata en sanglot. Il s’en voulait tellement. Il se frappait la paume de la main sur le front lorsque son téléphone sonna. C’était elle.

   


Elle rêve, lui songe. 2012

Tag(s) : #Nouvelles-Roman
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